Après “Nomadland”, Oscar du Meilleur Film, la réalisatrice Chloé Zhao s’essaie au blockbuster avec le dernier-né des Marvel, un casting séduisant à l’appui.
Tout au long des “Éternels”, le dernier-né — mais certainement pas le dernier! — des Studios Marvel, on devine combien la réalisatrice Chloé Zhao a dû lutter pour réduire à taille humaine ce show d’envergure industrielle. Ses efforts transparaissent dans la sincérité des interprétations et les moments d’authenticité qui ponctuent le film d’émotion. Mais c’est un combat titanesque. Tandis que Zhao s’applique à huiler la machine de larmes et d’émotions, ses efforts semblent refléter la bataille menée par ses attachants super-héros contre une force qui cherche à contrôler leur destin.
Créés par Jack Kirby, un visionnaire des comics américains, “Les Éternels” font leur apparition sur papier en 1976 (“Quand les Dieux descendent sur Terre!”) et ont refait surface plusieurs fois depuis. Puisque Marvel a (pour le moment) mis fin au cycle des films Avengers, il était acquis qu’il allait dépoussiérer un autre groupe de potentielles super-franchises. Pour ce faire, le studio a choisi Zhao (“Nomadland”) pour lancer la machine, avec un casting trié sur le volet dans le monde du divertissement. Angelina Jolie est là, avec des cheveux tristounets et un maquillage ultra-glamour, tout comme Gemma Chan, Salma Hayek, Don Lee, Kumail Nanjiani, un indispensable Brian Tyree Henry et deux tombeurs de la série HBO “Game of Thrones”.
Figurant parmi les créations moins connues de Kirby, les Éternels sont des divinités humanoïdes principalement empruntées à la mythologie grecque, mais dotés d’une orthographe excentrique : Thena, Ikaris, Sersi, et ainsi de suite. Leur histoire est bien élaborée et ils ont pour mission de protéger l’humanité. (À en juger par le piteux état dans lequel nous et la planète sommes, ils n’ont pas fait du très bon boulot.) Comme l’explique un des personnages, ils interviennent dans les conflits entre les humains en cas de nécessité. Un rôle qui évoque celui des Casques bleus des Nations Unies. Mais comme l’humanité est perpétuellement attaquée par les Déviants, de hargneux ennemis, les Éternels doivent perpétuellement redescendre dans l’arène — une habitude interventionniste qui fait référence de manière assez evidente à celle des États-Unis.
Écrit par Zhao avec d’autres scénaristes, “Les Éternels” s’inscrit dans le style de la maison Marvel, tant visuellement que dans sa narration. C’est très chargé, presque trop, et on navigue entre film de guerre, film romantique, comédie et drame familial. Il se classerait plutôt bien dans la catégorie retrouvailles-entre-copains : une bande de vieux amis se retrouve — avec réticence ou enthousiasme — pour reformer leur groupe de musique ou, en l’occurrence, botter des derrières cosmiques. Malheureusement, le film consacre un part démesurée de ses deux heures et demie à revisiter les plus gros tubes du groupe, tandis que les Éternels passent leur temps en explications. Les flashbacks coupent Zhao dans ses élans et les bavardages viennent brouiller un peu davantage une histoire déjà alambiquée.
En tant que potentiel premier épisode d’une nouvelle série, le film fait office de longue présentation au public où l’on passe en revue (qui sont-ils, que font-ils ?) les pouvoirs, les susceptibilités, les histoires et les relations entre ces dix Éternels. Ça fait du monde à l’affiche — mais dans cette constellation hollywoodienne, certaines étoiles brillent plus fort que d’autres. La tête d’affiche Sersi (Gemma Chan) est, un peu à contrecœur, une héroïne bienveillante qui vit à Londres et sort avec Jon Snow — alias Dane Whitman, joué par Kit Harington — jusqu’à ce que les Déviants, et les ennuis, surgissent dans cette ville vieillissante et sale. L’incursion ennemie déclenche la réunion et l’entrée en scène amusante du frère de Jon Snow, Robb Stark, alias Richard Madden, qui joue Ikaris. Lui et Sersi ont un passé ; ce n’est pas compliqué.
L’immense super-pouvoir du film, ce sont ses acteurs qui lui insufflent de la chaleur, voire un peu de passion, et une pulsion de vie que les nombreuses et bruyantes scènes d’action n’étouffent jamais complètement. Henry, Lee et Barry Keoghan (le terrifiant gamin de “Mise à mort du cerf sacré”) contribuent beaucoup à maintenir notre sympathie en éveil. Phastos, le personnage d’Henry, est le plus vivant des deux, en partie parce que son super-héros a une véracité identifiable, mais surtout parce que l’acteur a un sens naturel de l’empathie et une vraie délicatesse d’expressivité. Lee offre un peu de comique bienvenu et fait office de faire-valoir étonnamment efficace pour Jolie (y aura-t-il un spin-off de M. et Mme Éternel?), tandis que Keoghan ajoute son grain de menace piquante.
Les trois précédents long-métrages de Zhao sont des drames d’échelle modeste centrés sur des personnages privés de leurs droits — le genre de film que le courant commercial dominant laisse de côté. La réalisatrice aime faire appel à d’anciennes formules et à de nouvelles idées, et s’intéresse aux questions d’identité et aux valeurs fondatrices américaines comme l’autonomie. Dans “The Rider”, le personnage principal est un Amérindien qui est cowboy; “Nomadland” suit une femme, la soixantaine, qui prend la route après à la Grande Récession. Si l’intimité de son œuvre antérieure, sa portée et son calme relatifs font d’elle un choix apparemment inhabituel pour Marvel, ses films se tiennent à distance de l’ouvertement politique, comme beaucoup de films indépendants américains. Zhao cadre bien avec une entreprise internationale qui cherche à n’offenser absolument personne.
Par-dessus tout, la réalisatrice possède l’une des compétences les plus essentielles au job : elle sait gérer les acteurs. Car par-delà tous les effets spéciaux et les combats sans fin, les films de Marvel sont aussi centrés sur leurs personnages que les films de James Bond, et ils ont besoin d’interprètes charismatiques et de personnalités séduisantes pour faire tenir ensemble toutes leurs pièces détachées. (Ce n’est pas un hasard si beaucoup de réalisateurs Marvel sont des anciens du festival du film de Sundance.) “Les Éternels” bénéficie aussi du toucher de Zhao pour les paysages naturels et de son amour des grands espaces. Cela n’arrive pas assez souvent mais parfois, dans certains moments d’accalmie, les Éternels et leurs mondes se rejoignent et les grandes questions existentielles qui sous-tendent l’histoire — qu’est-ce qu’on fait là, qui suis-je ? — arrivent même à transcender la marque.
Source: Movies - nytimes.com