Après le succès fulgurant de la série aux USA, la comédienne joue avec Matt Damon dans “Stillwater”, de Tom McCarthy. “Vous ne pouvez quasiment pas la quitter des yeux quand elle est à l’écran,” dit le réalisateur.
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Au coeur de la pandémie, à mi-chemin entre les sorties de “Ted Lasso” en août et de “Bridgerton” en décembre 2020, vous êtes peut-être tombé par hasard sur la série française diffusée sur Netflix “Dix pour cent” — “Call My Agent!”, en anglais — une parodie de l’industrie du divertissement à la fois tendre et absurde, vue depuis une agence artistique parisienne dont les agents, pour la plupart des amateurs de cinéma au grand cœur, se soumettent aux caprices de leurs clients très exigeants.
Dans ce cas, vous êtes parmi les millions de spectateurs à avoir découvert Camille Cottin, l’actrice française qui incarne Andréa Martel, une dure à cuire aux yeux verts perçants qui s’échine à maintenir son agence à flot tandis que sa vie privée est en pleine désintégration.
La série est l’une des rares à nous avoir remonté le moral pendant la pandémie. Elle a aussi incité le public américain à s’aventurer vers d’autres séries étrangères comme “Lupin” ou “Money Heist” (“La Casa de Papel”), à condition de surmonter “la barrière des sous-titres d’un pouce de haut” évoquée par le réalisateur de “Parasite” Bong Joon Ho dans son discours aux Golden Globes de 2020. Le succès de “Dix pour Cent” a inspiré des spin-offs en Grande-Bretagne, au Québec et en Turquie. Et il est maintenant question d’un long métrage qui verra Andrea Martel partir pour New York.
Pourtant Camille Cottin, 42 ans, formée à la fois au théâtre et à la comédie à sketches, est passée complètement à côté du phénomène qu’est devenu “Dix pour cent” aux États-Unis. Et pour cause: elle était confinée à Paris avec son mari et ses deux jeunes enfants — au final aussi malheureuse que nous.
“J’étais bourrée d’inquiétudes pendant la pandémie et je me sentais assez tétanisée”, nous a confié Cottin lors d’une interview par vidéo, en anglais. “Je voulais être créative, mais je ne l’étais pas du tout. Et j’avais aussi le sentiment que je ne pourrais plus jamais retravailler. J’avais peur.”
“Et là, vous me dites que pendant la pandémie, tout le monde regardait “Call My Agent!”. J’étais à mille lieues de ça, au contraire, je me sentais enterrée vivante”, a-t-elle ajouté avec un rire sombre.
Cottin menait cette interview dans la voiture qui la ramenait chez elle après un essayage de robes pour le Festival de Cannes. (Pour les fans de “Dix pour cent”: ce n’était pas une robe à plumes comme celle qui embarrasse Juliette Binoche à la fin de la Saison 2). Dans son nouveau film “Stillwater”, Cottin est Virginie, une comédienne active et mère célibataire qui vient en aide à un père plein de remords — Matt Damon— venu à Marseille avec un plan mal ficelé. Pour la critique du New York Times Manohla Dargis, elle est “électrique”. Vanity Fair qualifie sa performance de “brillante et attachante”.
La scène dans la voiture était un peu moins glamour. Sa fille de 6 ans dormait profondément, la tête sur les genoux de maman. Et quand la voiture s’est arrêtée, j’ai vu Cottin, multitâche, en pleine action, sa fille ensommeillée et une boule de taffetas rose sur un bras, son appel vidéo toujours en cours au bout de l’autre, le ciel lumineux de Paris en arrière-plan. Elle s’est interrompue un instant pour coucher sa fille, puis a poursuivi la conversation assise sur le carreau de sa salle de bain — un compromis qu’elle a fait avec son enfant qui lui avait demandé de ne pas trop s’éloigner. Puis son mari, Benjamin, rentre à la maison. “Le père est là !” s’exclame-t-elle. “Si ç’avait été Virginie, elle aurait eu à gérer cette situation seule”.
Après un petit rôle en 2016 dans “Allied”, un film avec Brad Pitt, avec “Stillwater” c’est cette fois un public américain bien plus large que Camille Cottin a l’occasion de toucher. Il s’agit là sans doute d’un rôle qui la fera officiellement passer aux Etats-Unis, du statut d’actrice française peu connue à celui de sensation mondiale. Avant la fin de l’année, on la retrouvera aussi aux côtés de Lady Gaga et d’Adam Driver dans “House of Gucci” de Ridley Scott, où elle incarnera Paola Franchi, la petite amie de Maurizio Gucci (Driver). Et elle devrait retrouver le rôle d’Hélène, membre influente de l’organisation criminelle des Douze, dans la série “Killing Eve” de la BBC.
Le public étranger a découvert le talent de Cottin bien avant que nous, les Américains, ne soyons confinés chez nous. Quand “Call My Agent!” est passé à la télévision britannique, Cottin a pris conscience que la série avait trouvé un public outre-Manche. C’était en 2019, et elle participait à un festival de directeurs de casting à Kilkenny, en Irlande, avec son propre agent français. Soudain, elle s’est retrouvée au centre de l’attention.
“Ils me disaient, ‘Oh je peux faire un selfie avec vous?’ et moi je disais: ‘Quoi? Mais vous êtes le directeur de casting de James Bond!’,” se souvient-elle avec un éclat de rire.
C’est grâce à ce voyage, puis à un deuxième à Londres, qu’elle a été castée dans “Gucci” et qu’elle a rencontré le producteur de “Killing Eve”.
Mais “Dix pour cent” n’a pas joué dans la décision du réalisateur de “Stillwater”, Tom McCarthy, d’engager Cottin — il n’avait pas encore vu la série quand il l’a rencontrée. Il a engagé la comédienne sur la base d’une audition dont il dit qu’elle les a stupéfiés, lui et ses co-scénaristes, Thomas Bidegain et Noé Debré.
“Vous ne pouvez quasiment pas la quitter des yeux quand elle est à l’écran”, a-t-il dit récemment, lors d’une interview depuis la France. “Elle est un peu éparpillée, un peu dans tous les sens. Elle est drôle, elle a de l’autodérision, elle est empathique. Elle est coriace. Elle est directe. Et je continue à ressentir tout ça après l’avoir vue pendant un an et demi en salle de montage, chaque moment avec elle est intense.”
Pour Cottin, le personnage de Virginie, qui est ouverte, maternelle et toujours à la recherche de quelque chose à réparer (comme le rustre venu de l’Oklahoma qu’incarne Matt Damon), est son quasi-double.
“De tous les personnages que j’ai eu à jouer, Virginie est celui dont je me sens le plus proche”, dit-elle, même si c’est l’un des rares rôles qu’elle ait tournés en anglais. “Nous avons la même énergie. Et jusqu’à maintenant, on m’a surtout castée dans des rôles de femmes plus tendues. Un peu plus dans le contrôle.”
Cottin est d’un naturel désarmant, évident dès le premier contact, en totale contradiction avec le vernis glacial de son personnage dans “Dix pour cent”. Elle ne se prend pas trop au sérieux — McCarthy dit qu’elle est “gaffeuse” — et on réalise vite son grand potentiel comique. Celui-ci se révèle au grand jour dans son rôle français le plus connu, le rôle principal de l’émission TV humoristique “Connasse”. Parmi d’autres exploits, elle y escalade la grille de Kensington Palace dans l’espoir de rencontrer le prince Harry.
Dominique Besnehard, l’un des producteurs de “Dix pour cent”, dit de Cottin qu’elle est “celle qui est jolie, mordante, audacieuse” et qui, dans le rôle d’Andréa, “est très douée pour passer de la dureté à la fragilité”.
Pour Cottin, Andréa est un personnage qu’elle admire et comprend à la fois, mais qu’elle ressent très éloignée de sa propre personnalité.
“J’ai beaucoup moins d’assurance qu’Andréa. Elle est plus sûre d’elle, plus stratégique et plus douée pour prendre des décisions”, estime-t-elle. “Quand je dois faire un choix, ça me prend longtemps, toujours trop longtemps. Et je demande l’avis de tout le monde.”
Si Cottin ne manque certainement pas d’assurance quant à sa carrière, en tant qu’actrice quarantenaire, elle est très consciente que les succès qu’elle connaît aujourd’hui ne présage en rien de l’avenir.
“Peut-être que si j’avais 20 ans, je me dirais : ‘Oh mon Dieu, je vais peut-être décrocher un Oscar’,” dit-elle en riant, d’un accent américain moqueur. “Ce n’est jamais vertical. Vous pouvez faire un pas, vous pouvez penser que vous êtes arrivée au sommet et puis soudain, vous pouvez descendre. Rien n’est une ligne droite. Pour moi ces projets sont des voyages, des voyages magnifiques. Je ne peux pas dire ‘Oh, maintenant que j’ai fait ça, je peux vous dire ce qui va suivre’, parce que je ne le sais pas. Et ça ne veut pas dire que ça arrivera de nouveau.”
Besnehard estime qu’elle pourrait mener une carrière comme Binoche, avec des rôles à la fois en France et aux États-Unis. “J’espère que les Américains ne la monopoliseront pas”, prévient-t-il.
Pour McCarthy, la trajectoire de Cottin est bien plus claire.
“Je prédis de grandes choses pour Cami, et pas seulement grâce à notre film, dans lequel je la trouve sensationnelle, mais simplement parce que son heure est arrivée,” assure-t-il. “On le sent, quand quelqu’un a mérité un moment dans sa carrière et a travaillé le temps qu’il a fallu, et est prêt à en prendre les rênes.”
Source: Movies - nytimes.com