in

‘Stillwater’, l’autre tragédie américaine

Dans le dernier film de Tom McCarthy, le rôle tenu par Matt Damon est sur-travaillé, d’une réserve plombante. Mais l’électrique Camille Cottin donne de la force à son personnage et de la gravité à ses scènes.

The New York Times traduit en français une sélection de ses meilleurs articles. Retrouvez-les ici.

A l’évidence, quand les films americains veulent parler des États-Unis, qui plus est de sujets grandioses, profonds ou symboliques, ils ont tendance à retenir leurs coups. Cette timidité peut s’expliquer de différentes façons, au rang desquelles la peur de heurter la délicate sensibilité du public figure évidemment en bonne place. C’est ainsi que des récits éminemment politiques ne prennent que rarement parti, et que des films au ton très sérieux comme “Stillwater” finissent par couler sous le poids de leurs bonnes intentions.

Dans “Stillwater”, le dernier opus du réalisateur Tom McCarthy (à qui l’on doit notamment “Spotlight”), Matt Damon joue Bill Baker. Il coche toutes les cases du personnage-type acculé par les déboires du capitalisme tardif, y compris les jobs qui ne mènent nulle part, les agonies familiales et la masculinité blessée . Il offre aussi une touche d’exotisme à l’hollywoodienne : il vient de l’Oklahoma. Ancien toxicomane, Bill alterne désormais entre le maniement du marteau et la prière. Fier, dur, solitaire, et dont l’impassibilité peine à cacher la violence qui l’habite, il mène une petite vie morose dans une petite maison morose. Il ne dit pas grand-chose, mais présente tous les symptômes du blues de l’homme blanc.

Il traîne aussi un fardeau, en la personne de sa fille, Allison, (l’erreur de casting Abigail Breslin), qui purge une peine dans une prison marseillaise, condamnée pour le meurtre sauvage de sa petite amie. L’histoire conçue par McCarthy (qui a co-écrit le scénario avec d’autres auteurs) s’inspire de celle d’Amanda Knox, une Américaine étudiant en Italie condamnée pour un meurtre remontant à 2007. Une affaire qui avait fait un scandale international. La peine de Knox a finalement été annulée, et son retour aux États-Unis immortalisé par de sordides gros titres dans la presse, des livres, des documentaires et, en 2015, par un long-métrage alimentaire avec Kate Beckinsale.

À l’image de ce film-là, qui traite des travers de médias vampiriques et sensationalistes, “Stillwater” s’intéresse moins aux détails de l’affaire Knox qu’aux lecons morales que l’on peut en tirer. Juste après la scène d’ouverture, puis un tour de l’habitat naturel de Bill — un paysage gothique industriel et des diners de malbouffe peu fréquentés — il rend visite à Allison, un voyage qu’il a déjà entrepris à plusieurs reprises. Cette fois, il reste. Allison pense avoir une piste pour prouver son innocence, plongeant son père dans une enquête sans fin, qui pendant un moment, accélère le rythme du film.

Loin d’être un cinéaste intuitif ou innovant, et comme beaucoup d’acteurs devenus realisateurs, McCarthy se montre plus apte à diriger des acteurs qu’à raconter visuellement une histoire. Filmé par Masanobu Takayanagi, “Stillwater” rend plutôt bien — c’est sérieux et professionnel — et Marseille fait son effet, par son soleil et sa face sombre, en faisant peser une atmosphere écrasante sur Bill qui parcourt la ville de long en large en quête d’indices et de méchants. Pas en reste non plus, l’acteur franco-algérien Moussa Maaskri, sous-utilisé, tire son épingle du jeu en incarnant l’un de ces détectives privés sournois et désabusés qui, comme le spectateur, a déjà tout compris bien avant Bill.

Il se passe beaucoup de choses, y compris une relation soudaine et peu convaincante avec une comédienne de théâtre française appelée Virginie (l’électrique Camille Cottin, de la série “Dix pour cent”, ou “Call My Agent!” sur Netflix). Le personnage est un fantasme, un ange gardien avec un corps de rêve et une môme adorable (Lilou Siauvaud). Parmi ses autres traits peu crédibles, elle ne s’agace même pas du fait que Bill ne parle pas un mot de français. Mais Cottin, interprète charismatique dont la fébrile intensité crée sa propre force gravitationnelle, vous tient en haleine. Elle donne de la force à son personnage et de la gravité à ses scènes – un soulagement vu la réserve plombante de Bill.

Il y a peu de joie dans la vie de Bill; le problème, c’est qu’il y a aussi peu de personnalité. Il est clair que Damon et McCarthy ont pensé l’homme sous toutes ses coutures, de ses chemises à carreaux à sa démarche bien crispée. Son personnage a l’air de souffrir de constipation depuis des semaines; surtout, il semble sur-travaillé, le fruit d’une conceptualisation trop poussée sans assez de sentiment, d’humanité identifiable ou d’idées bien définies. Et comme Bill ne parle pas beaucoup, il n’émerge qu’à travers ses actes et sa présence corporelle contrainte, ses yeux baissés et son visage en partie dissimulés par la visière baissée de sa casquette de baseball.

On a ici affaire, comme on dit dans le milieu, à une performance engagée. Mais c’est aussi une performance frustrante par sa platitude. Davantage concept que personnage, Bill n’est pas ce père spécifique, cet Américain mal à l’aise à l’étranger : il est un symbole. McCarthy dévoile son jeu dès la première scène en Oklahoma, avec ce plan de Billbien cadré au centre de la fenêtre d’une maison qu’il aide à démolir. Une tornade a traversé la région, rasant tout sur son passage. Lorsque Bill s’arrête pour regarder autour de lui, prenant conscience des dégâts, la caméra s’attarde sur les survivants en pleurs, les décombres et la ruine. Un bon début, riche de potentiel; mais, au fur et à mesure de l’histoire, il devient évident qu’il ne s’agit pas juste d’une catastrophe, naturelle ou pas. Il s’agit d’un présage.

A l’image de “Nomadland” et de nombre de film présntés au festival de Sundance, “Stillwater” se saisit de la figure classique de l’Américain stoïque, l’individualiste endurci qui, à ne compter que sur lui-même, s’enferme dans un piège, une voie sans issue et — si toutes les pièces du puzzle narratif s’assemblent — une tragédie. Et tout comme “Nomadland”, “Stillwater” tente de dire quelque chose des États-Unis (“Ya Got Trouble” — “Vous avez des ennuis”, comme le chantait The Music Man dans la comédie musicale éponyme) sans risquer de se couper du public en citant des noms ou en soutenant une position idéologique. Les temps sont durs, les Américains aussi (du moins dans les films). Ils gardent le silence, ils persévèrent, les yeux plissés face au soleil et au vide. Il leur arrive bien des malheurs, et c’est forcément de la faute de quelqu’un — et pourtant tout est tellement vague.

Source: Movies - nytimes.com


Tagcloud:

Stacey Solomon announces social media break as she prepares to welcome baby daughter

Jessie Ware shares sweet memories of holidays with mum as she talks 'annoying' obsession